NO DESTINY

(Toutes ressemblances avec des personnes existantes, des faits réels et des lieux de guerres permanentes sont totalement volontaires.)

On pouvait dire que Destiny était une bombe, à tous points de vue. A la fois une Scarlett Johansson de calendrier pour marines en rut et la plus dangereuse des pilotes de Predator B. Les drones armés, l’arme ultime de l’Oncle Sam qui vous bouzille n’importe qui, n’importe où, sans jugement ni couronne, à partir d’une cabine de pilotage installée dans le désert du Nevada. Le Major Destiny était aussi la fille du Général Petrus, commandant de la Force internationale d’assistance et de sécurité en Irak et directeur de la CIA. C’était un secret pour personne.

Première de sa promotion, son éducation militaire l’avait conduite à surclasser les hommes dans tous les domaines, à commencer par celui qui faisait leur fierté : la guerre. Lors d’une récente visite à la Naval Air Station Fallon, le président l’avait décorée à sa descente de l’Air Force 1 pour son engagement dans la guerre contre les djihadistes au Yémen, en Irak et au Pakistan. Devant la crème des pilotes d’aéronefs de toute l’Amérique, alignés en pointillés sur la piste de décollage, Destiny s’était montrée impassible.

– Lieutenant Destiny Petrus, you do the job… l’Amérique compte sur vous. !

Son général de père n’avait pu retenir une larme de fierté. Sa petite Desty était le meilleur élément de la prestigieuse US Navy Fighter Weapons School… et la plus belle poupée Barby de toute la base. Une blonde fatale, capable de poisser en trente secondes les doigts de n’importe quel militant pacifiste, surpris entre les pages glacées d’un numéro de Penthouse spécial army.

À Nas Fallon, c’était le fantasme de la femme parfaite pour tout militaire réduit une nuit ou l’autre au rôle de coyote remontant la queue basse dans la Freemont Street de Las Vegas, sous le regard indifférent des putes. Le sex-symbol de la top gun implacable, pas du genre à se poser de problème de conscience, ni à se demander : why we fight ? Après avoir balancé une tonne et demi de bombes intelligentes sur sa cible, elle répondait avec une franchise désarmante aux regards furtifs des assistants :

– Qu’est-ce qu’il y a ? On se bat pour rendre le monde plus sûr à Mc Donald’s non ? 

Originaire de Harrisburg en Pennsylvanie, Destiny était pétrie de pensée positive. Volontariste, on l’avait persuadée dès l’enfance qu’il suffit de vouloir pour pouvoir et qu’en s’imposant une discipline de fer, on atteint tous ses objectifs. L’armée de l’air dirigée par papa lui avait fourni le cadre idéal pour apprendre à gérer ses émotions. Elle croyait en sa destinée, se répétant souvent « je ne m’appelle pas Destiny par hasard ! » Et comme en plus elle savait qu’elle était jolie, dans ce monde d’hommes tout lui réussissait, ou presque.

En réalité, sur le plan sentimental, la vie de Destiny était aussi vide que le désert qui s’étendait autour de Nas Fallon. A force de vouloir incarner la perfection faite femme et de snober les soirées organisées par les officiers de la base, elle passait seule ses nuits. Avec un énorme chat castré, Davy, un persan strabique et gavé de croquettes vitaminées qui dormait avec elle sur le sofa quand elle n’était pas en mission. Aucun des officiers du camp ne pouvaient se vanter d’avoir eu une relation avec elle, autre que strictement militaire.

Ils en étaient réduits à l’imaginer en tenue d’Ève dans sa piscine privée, lorsqu’ils survolaient le quartier résidentiel de l’armée en rentrant à la base. Une sorte de mine flottante prête à péter à la gueule du premier kamikaze trempé de sueur qui se serait crashé dans sa ligne d’eau. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que dans l’intimité, Destiny ôtait son uniforme pour redevenir une femme normale, si l’on peut dire, romantique, douce, rêveuse, soudain triste ou hystérique, en proie à toutes les angoisses, capable de passer d’une crise aigüe de boulimie à l’anorexie la plus totale en 48 heures, buvant du Bordeaux et contrôlant fiévreusement ses messages sur son smartphone avant de l’éteindre et de le rallumer en se servant un nouveau verre de vin. Ses soirées finissaient en longs monologues avec Davy qu’elle caressait jusqu’à l’étouffer de baisers et quand le chat s’échappait de ses bras, elle fondait en larmes et l’accusait de la tenir cloîtrée par jalousie, pour l’empêcher d’avoir une vie comme les autres, avec un mari et des enfants… un chien !

Parfois Destiny disparaissait complètement pendant une semaine, en laissant une montagne de croquettes au chat. A peine vêtue d’une légère robe jaune ou rose, elle montait dans une Porsche Carrera blanche et prenait la direction de Battle Mountain au nord-est de la base, pour aller voir un certain Johny à l’hôpital militaire. Le pauvre avait troqué la moitié du visage et ses deux bras en Irak, contre un masque de fer et des prothèses bioniques, en essayant de désamorcer une bombe « artisanale ».

Elle avait connu Johny lors d’une opération de bienfaisance organisée par le révérend de la Chapelle de Nas Fallon. Ils avaient échangé sur la page Facebook de l’association et Destiny s’était prise d’admiration pour ce « vrai » soldat engagé sur le terrain, dans la guerre bien réelle. Rien à voir avec ces pilotes de drones de reconnaissance qui n’avaient jamais risqué leur vie et ne savaient pas ce que voulait dire manipuler une bombe télécommandée à distance, piloter un F-35 avec les fesses… ou manœuvrer comme elle un Predator B, faire le sale boulot et vivre en paix avec sa conscience, quoiqu’il arrive. Non c’était pas pareil.

Elle ressentait un trouble étrange quand Johny effleurait son corps avec ses doigts de métal et la soulevait du sol comme une poupée. Son cœur accélérait à la vitesse d’un processeur Intel, elle s’abandonnait à lui dans une étreinte transhumaine. Après l’orgasme, elle se sentait en quelque sorte une femme « augmentée ». Puis au bout de quelques jours passés à froisser les draps, à renverser les fauteuils et à faire déborder la baignoire de la suite de l’Hôtel Super 8 de Battle Mountain, elle le ramenait à l’hôpital et foutait le camp comme elle était venue, dans un nuage blanc, mirage bien vite effacé par la poussière du désert.

Le lendemain, Destiny réapparaissait à la base, sans autre explication qu’un sourire énigmatique en réponse aux questions scabreuses sur sa disparition. Bande de « hot dogs » pensait-elle ! Et une fois dans la cabine de pilotage, son sourire de petite cachottière laissait place à un rictus moqueur qui coupait l’envie de plaisanter à tous les mâles autour d’elle. Lipstick sur les lèvres et joystick en main, les yeux rivés sur le grand écran plasma, elle prenait le relai de la station de décollage de l’avion furtif, située quelques part à l’autre bout du monde, commandait les évolutions du drone au-dessus de la zone de territoire à « sécuriser », lançait ses ordres sur un ton sec aux hommes chargés de régler les paramètres de vol, interagissait avec l’état major, parfois même avec le président en personne.

Un jour que Destiny pilotait son Predator B dans l’espace aérien irakien, l’ordre arriva du Pentagone de voler immédiatement en direction de Mossoul. Les puits de pétrole venaient de tomber entre les mains des djihadistes. La situation était en train d’échapper complètement au président. Les républicains au Congrès réclamaient une attaque immédiate des convois de combattants intégristes qui progressaient sur Bagdad et menaçaient les cinq mille fonctionnaires américains en poste dans la ville. L’équivalent des deux tours du World Trade Center. Le président refusait toujours d’intervenir. Le cours du pétrole avait affolé la bourse, mais pas assez les médias pour partir en guerre.

L’équipe de Destiny passa en alerte maximum. Les djihadistes de l’Etat Islamique en Irak et au Levant avaient dévalisé les coffres de toutes les banques de Mossoul et de sa région et raflé 500 millions en dollars et lingots d’or. De quoi équiper toute une armée en pick up Toyota, lances roquettes RPG7, Kalachnikof AK 47 et autres matériels de guerre qui circulaient entre la Syrie et l’Irak. Avec le risque que les armes fournies par les USA aux rebelles syriens tombent cette fois dans les mains des djihadistes en Irak et se retournent contre l’Amérique. Le convoi qui transportait le butin avait été repéré d’après des informations de la CIA et identifié formellement par des drones de reconnaissance Global Hawks. Si l’on voulait éviter une nouvelle guerre, il fallait agir tout de suite. Avant que le paquet de dollars et de lingots d’or ne soit réparti en plusieurs convois pour rendre sa récupération impossible. En l’absence d’accord officiel pour une intervention des forces aériennes américaines, il restait les drones.

Dans ces moments de tension extrême, Destiny devenait le bras armé d’un général ou du président. Elle savait faire preuve d’un sang froid et d’un sens de l’anticipation hors du commun pour compenser les millièmes de secondes de retard dus à la transmission de l’ordre par satellite, entre l’appui sur le bouton rouge en haut du joystick et le déclenchement réel du tir à 15 000 km, auxquels il fallait encore ajouter le temps nécessaire à la bombe pour toucher la cible. Selon la théorie de Destiny, les capacités « psychologiques » d’anticipation du pilote permettait à celui qui lançait l’ordre d’avoir l’impression que l’explosion se produisait immédiatement.

Quand elle déclencha le tir sur les véhicules qui apparaissaient en infra-rouge sur l’écran, elle eut aussi le temps de se demander si, à force d’anticiper, elle risquait un jour d’exécuter l’ordre de tir avant qu’il ne soit donné. Et puis la scène du convoi disparut instantanément de l’écran, dans un nuage de fumée pixellisée.

Le lendemain, une photo s’étalait dans la presse montrant les restes déchiquetés de 32 civils, des femmes et des enfants tués par une attaque de drone dans le nord de l’Irak, sur la route de Ninive à Bagdad. Mais il n’y avait aucun mot sur le trésor de guerre visé par l’attaque. Impossible de savoir si les victimes étaient de « simples » réfugiés fuyant les zones de combats ou des boucliers humains utilisés par les combattants de l’Etat Islamique en Irak et au Levant. Quand Destiny apprit qu’elle était attendue au rapport dans le bureau du colonel de la base pour un debriefing sur la dernière intervention, son sang se glaça. Non pas qu’elle craignait ce gradé toujours souriant avec elle, mais parce qu’elle ne pouvait s’empêcher de penser à tous ces morts pour rien. Maintenant il fallait assumer. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, avait-elle beau se répéter, mais son breakfast lui restait sur l’estomac.

Le colonel se montra très gentil et rassurant. Assis sur le bureau devant elle, il lui expliqua qu’elle n’avait pas à s’inquiéter des dommages collatéraux, qu’elle était couverte par sa hiérarchie, qu’il comprenait parfaitement ce qu’elle ressentait et qu’elle devait se reposer quelque temps. L’armée avait besoin d’elle ! Il se leva en lui répétant les mots du Président :

– Lieutenant Destiny Petrus, you do the job… l’Amérique compte sur vous. !

La nuit suivante Destiny fit un rêve horrible. Elle roulait très vite dans le désert hérissé de cactus quand elle vit surgir un enfant blond au milieu de la route. Au moment où elle allait le percuter, il devint si grand qu’elle passa entre ses jambes, deux immenses prothèses bioniques de jambes qui semblaient faites par le même fabricant des bras articulés de Johny. Le pantalon accordé aux bras de la veste. Elle descendit de voiture et marcha en direction d’un cactus qui semblait faire des signaux d’atterrissage à toute une armée de vautours invisibles. Elle tenait fermement la main de l’enfant. Puis elle se rendit compte que l’enfant avait disparu mais qu’elle serrait toujours sa main ensanglantée et elle se réveilla effrayée.

Les nuits se succédèrent, sans que Destiny puisse trouver le sommeil et elle commença de s’enfoncer dans une profonde dépression. Elle refusait de répondre aux appels insistants de son père qui se trouvait en Afghanistan. Elle restait prostrée, seule pendant des heures devant la TV, réglée sur des programmes d’informations en boucle, méconnaissable, les yeux gonflés, les cheveux en bataille, collés sur les tempes par les vagues de sueur froide qui l’inondaient. Elles n’osaient plus sortir de sa maison et en même temps, elle aurait voulu s’échapper loin d’ici, en Pennsylvanie, un pays verdoyant comme les yeux du chat qui la fixait intensément pendant des heures et avait parfaitement compris que quelque chose ne tournait pas rond. Elle le prenait à témoin sans relâche, lui disant que ce n’était pas sa faute, qu’elle n’était qu’une exécutante. Elle avait fait son travail, ni plus, ni moins, mais elle n’y croyait pas elle-même et retombait en larmes, suscitant l’inquiétude de Davy qui s’était mis à bouder ses croquettes.

Comment était-il possible qu’elle se sente coupable d’avoir exécuté un ordre dont elle n’était pas responsable ? Tu peux pas comprendre Davy… Quel homme, aussi bionique et augmenté soit-il, accepterait de fonder une famille avec une femme ayant tous ces morts innocents sur la conscience, sans compter les blessés, les estropiés, les culs de jatte, les manchots, les borgnes, les défigurés, les veufs, les orphelins ? Elle sentit qu’elle avait besoin de dire tout cela à quelqu’un qui la comprendrait et saurait trouver les mots pour la décharger de son fardeau. Non pas pour fuir ses responsabilités, puisqu’elle n’en n’avait pas, mais pour montrer qu’elle n’était pas insensible. Après tout, elle n’était qu’une militaire, faite de chair et d’os et avait besoin que le monde le sache, la comprenne.

Destiny appela le journaliste Steve Morgan du Las Vegas Sun qui était venu l’interviewer quelques mois auparavant, à l’occasion de sa décoration par le président. Rendez-vous fut pris le lendemain dans un hôtel de Carson City, près de NAS Fallon.

Ce fut la seule nuit où elle dormit profondément sans faire de rêves. A son réveil, elle eut du mal a rassembler ses idées, regarda l’heure et se souvint du rendez-vous avec le journaliste. Elle prit son smartphone pour l’appeler. A peine eut-elle fini de composer le numéro qu’une violente explosion fit éclater sa jolie tête blonde comme un fruit mûr.

SI DIEU ME LIT

Si Dieu me lit

Il sait bien que

J’crois pas en lui

Et que si je

R’faisais le monde

Ce s’rait sans lui

Si Dieu me voit

Il sait bien que

J’ai pas la foi

Et que si je

Décore ma tombe

Ce s’ra sans croix

Si Dieu m’entends

Il sait bien que

Souvent je mens

Et que si je

Deviens immonde

Je montre les dents

Qu’avec des si

Qu’avec des je

Ref’rais le monde

ça s’rait sans lui

Si Dieu me lit

Entre les lignes

Qu’il me corrige

Si j’l’égratigne

Si j’l’assassine

AUX RATS DU SOL

– Vous pouvez pas rester là !

Robert n’a pas envie de décamper. Robert Dusol n’est pas n’importe qui. Une particule de noblesse dans un monde de gueux. Personne ne lui fera lâcher sa turne style Henri IV sous le Pont-Neuf pour un foyer minable en banlieue. Sûrement pas ces deux pingouins en maraude avec leur bol de soupe et leurs gants en plastique bleu.

– Vous aussi monsieur, il faut vous en aller !

Bilad, un syrien échoué à Paris. Il a perdu ses papiers en mer. Sans compter qu’il en a une autre à traverser pour rejoindre l’Angleterre.

– Foutez-nous la paix, on a le droit d’être là, le droit du sol ! La France est peut-être aux français « de souche » comme ils disent, mais Paris sera toujours à tout le monde.

(bras d’honneur et gros plan sur l’étiquette du litre de rouge : A.O.C. appellation d’origine contrôlée)

MAUVAIS CALCUL

Un mauvais calcul et votre vie bascule ! Jugez plutôt.

9,43 € de l’heure. C’est ce que je gagnais au smic. Avant, quand je travaillais. Il y a le pour et le contre. Comme disait ma femme, d’un côté on peut remplir le frigo tous les samedis mais le dimanche on bouffe tout ce qu’on a acheté. Alors un lundi, elle s’est barrée en croisière avec le voisin. J’ai tout perdu, ma femme, mon boulot, mes amis. C’est à ce moment là que  j’ai commencé à raisonner en millimètres : calibres 9 et 11,43 pour être précis. Vous savez, j’aurais pu vraiment mal tourner ! Mais heureusement, je m’en suis bien sorti. Maintenant j’émarge à 10.24 € de l’heure, nourri, logé, blanchi (+ les primes au noir). C’est le jour et la nuit depuis que suis flic à Paris…

LE CONSEIL DES SINISTRES

90 % de réussite au bac… 0,6 % de croissance… 30 % de chômage… Les chiffres s’accumulaient sur le bureau du président. Un Enarque souffla :

– Comme vous pouvez le constater Mr le président, la France ne manque pas de cerveaux mais plutôt… d’intelligence.

Le Président fit ses yeux ronds habituels, caressa distraitement le casque intégral posé devant lui et se tourna vers le Ministre du Travail avec une pointe d’amusement dans les yeux :

– Qu’est-ce que vous avez à nous suggérer pour relancer la croissance ?

– La solution intelligente, selon moi – et les statistiques le confirment – serait d’augmenter la durée du travail plutôt que de prolonger la durée des études.

Piquée au vif, la Ministre de l’Éducation Nationale faillit s’étrangler et ne put s’empêcher de balbutier :

– Si j’ai bien compris, vous proposez de rendre les français… plus cons qu’ils ne sont en réalité  ?

Le Ministre du Travail la regarda triomphant, sûr de lui :

Sans vouloir vous offenser Mme la ministre, c’est un faux problème : en admettant que vous ayez raison, vous serez d’accord avec moi pour reconnaître que, le jour où tout le monde sera idiot, la connerie disparaîtra d’elle-même !

– Et pourquoi ?

– Pour la bonne raison qu’il n’y aura plus de gens assez qualifiés pour faire la différence entre intelligence et connerie !

– Très bonne celle-là ! Le président esquissa un sourire et jeta un rapide coup d’œil aux messages sur son smartphone.

– Dossier suivant ?

– L’Intelligence Artificielle

.

LE PETIT BLEU

Trace d’apnée juvénile

Il jette son sac sur les rochers de l’Elbe, sous la maison de Mayol, plonge de l’autre côté du miroir, dans l’envers de l’histoire, mémoire amniotique qui l’absorbe et le recrache infiniment, pendu la tête en bas dans les vagues, pulsations cosmiques d’une froide vision, un corps nu, le sien, en équilibre dans l’espace, sur un surf qui rétrécit et un compte à rebours, du futur vers le passé, l’angoisse du zéro absolu devant lui tambourine dans ses tempes, une bulle etc. Remontée, fin d’apnée. Respirer.

ZOO NOEUDS 21

Vitesse estimée de lecture du poème Zone de Guillaume Apollinaire écrit en 1913 et réadapté à la prose absurde et triviale du XXI° siècle.

À déclamer en lançant des regards de fou, debout sur le pont avant de l’Arche des migrants lancée en plein déluge, tout en tour-noyant aux sons déchirés d’une valse manuelle à 3 temps…

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 Allah faim tu hélas de ce mont danse si un

Berge erre eau tour et fêle le trou peau des ponts bel ce mat teint

Tuant n’as as sait de vie ivre dans lent tic qui t’es gré qu’héros mènent

Ici m’aime laids haut homme aube île long l’ère d’hêtre en scie haine
L’art relit gît ion erre est-ce thé toute neveu l’art relit gît ion
Erre est-ce tes seins pleut qu’homme laits en garde Porte A via sillon

Seul en Euro peu tune n’haies pas anti Crise t-y- âne isthme
L’heure hop et un le plume au der ne sait vous Pas peu pie dis
Hais-toi que laits feux naître aubes servent là on te t’heureux tiens
D’antre aidant une aigle lisait d’eux t’y con fesser ce mat teint
Tu lies lèpre os paix que tu ce laids cas t’as l’eau gueux lèse à fiches quiches hantent toux eau
Veau Allah peau hésite ce mat teint et pour la peau rose île lia les jours Renault
Iliade les livres vraies hontes à 25 senties me plait haine d’avant tue repos lisse hier
Porcs traits d’aigres en omet mit le titre d’hiver

Geai vu ce mat teint une geôle lyre eue don j’ai houx bœufs lier le nom
Neveu est pro preux du sceau lait yeux aile été le clef rond
Les dits recteurs laids houx vrillés ailés baies le se tait haine aux d’actes îlots gras feux
Du l’un dit mat teint os ça me dit seau art qu’âtre foi part joue rit pas ce
Le mat teint part Troie foi lasse si reine y geai mit
Laids uns scripts sillons des anses saignent haies des murs rails
Les plats que laids à vie Allah face sondée pères au quai crient ail
Geai meula grasse deux sept ruse un dû se trie elle
Si tué aPpât rit entre las rue hOmme honTe y est ville et l’aveu nu deTte Herne
Voilà l’âge eux ne ruent es-tu né en corps qu’un peu titan faon
Tas mer ne t’as bille queue de bleuet deux blancs
Tu hêtre épi eux et évêque le plus an scie un deux thés qu’amarre rade Renaît D’alizé
Vous nez mairie un tank eux laids ponts peu d’eux les gueux lisent
Île laine œuf heureux le gars est bée sait où bleu
Vous sort aide du dore taux hareng cas chez te
Vous prix hait toux te l’âne huis dent la chape hèle du col laid je
Temps dit qu’est terne elle est à d’or râble prof onde heure à mes tisse te
Tour n’âge a mêla flan bois y hante gueux loir du crisse te
Sel eux bol hisse queue tousse noue culte y vont
Sel le fil ce palais ver mai yeux deux la doux lourd eux se mer
Scelle arbre toux jours toux fut deux toux te l’est pris hier
Sel la double peau tance deux l’aune heure haie de l’éther nie thé
Sel est toi la scie branche
Cédille yeux qui meut heure le vent de redit erré suscite ledit manche

Cèle cris ce T qui mont haut scie elle mie œufs queue laits à vie à t’heures
Île dé tien l’heure corps dû mont de pour la haute heure

Pus pille Crisse ce te deux l’œil
Vint y aime pus pille des scies haies queues le île c’est y fer
Echange haie en noix os ce scie haie queue le qu’homme Jazz eus mont te dent l’ère
Laids dix A bleu dans laids habits meulaient veux l’athée te pour l’heure gars dés
Îles dix qu’il lime mythe Scie mont ma agent jus dés
Île crisse île c’est veau lait cons lapent elle vole heure
Laits ans je vole tige haute tour du geôle y vole tige heure
Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane
Flots te haut tour dû preux mie est A héros plat ne
Île c’est carte part foi pour lait sait pas c’est ce queue transe porte la Ceinte eux car ris ce t’y
Ceps reîtres  qui mont éther nez le ment elle vent l’os t’y
Lave ions se pots an faim sang refaire mêler zèle
Le si elle sang plie à l’horde mi lions dire onde elles
Attire d’elle vie haine les corps beaux les faux cons les I bouts
D’Affre Icare rives les I bis les flammes ans les mares à boues
Lois aurochs sel lait brait parlait compte heures ailé peaux haies te
Plat ne te n’en dent laisse erre le queue rat nœud a dents la preux mie hier tais te
Laid gueux le fond de l’eau riz on en poux cent un gueux rang queue rit
Aida mer rit que vie un le peu tique eau lit brie
Deux chinent son vœux nu l’épi hisse l’onze haie sous peu le
Qui n’oncques une ce l’haie le équivaut le part cou peu le
Puits voix ci lac eau l’on baisse prix y mal cul est
Caisse cor te l’oie zoo lire aile pas on osselet
Le fée nie que ce but chez qui sot à m’aime sans gendre
Un nain se tend voix-le toux deux son art dente cent d’heureux
Les six reines lait sent l’épée ri yeux dé trois
Art rives en champ tant baie le ment toux te trois
Haie tousse haie gueux le fée nie que ce épi hisse deux la chinent
Feu rats ternies ave queue lave haut lente ma Chine

Main tenant tue m’arche dent Pas ri tousse eux le part mi là fou houle
Des trous peaux d’haut tôt bus mue gît sang pré deux toits roue houle
Langue oie ce deux l’âme mourre heureux te sert le gueux osier
Qu’homme scie tue nœud eux vais-je à mai plus hêtre très mai
Situe vive aidant l’an scie un tant tu entre raie dents hein mot nasse terre
Vous ave on te qu’en vous voussure preux né à dire rune prie hier
Tue te mot queue deux toits et qu’homme l’œuf feu d’eux lent fer t’ont rire pète île yeux
L’aise étain celle deux thons rirent d’or le font deux tas vie
Sept un table haut pend dû danse un son beur eux muse haie
Hait qu’elle queues foi tue val regard haie deux prés

Haut jour du huis tue m’arche dans Pas ri l’elfe hameçon temps sans gland est
Sait tait aie-je vous draine pâmant saoul venir
Sait tait tôt dé clin d’eux la bottée

An tour raide feux l’âme fer vente Note heureux D’âme mare gare dé à Char te heureux
Le sang de veau te heureux Ça crée Qu’heure m’a y nom dé âMe on martre
Jeu su huis mal à deux doux ire laids pas rôle bi un heureuses
L’âme mourre don jeu sous feu heureux hait tune mâle à dit on t’eux se
Elime âge quitte peau cède te fée sur vie ivre dent l’un somme nie aidant langue oie ce
Ces toux jours pré deux toits sept I mages kippa ce

Main tenant tu hais zoo aube hors d’eux l’âMe est dite erre à nez
Saoulé six trop niés qui sons tant feux leur toux te l’âne née
Ave queue thèse à mi tue te preux homme haine en bar queue
L’un henNit sar île lia un Manteau nasse queue aide eux Tue hure bi as queues
Nous regard dons ave qu’est froid l’époux le peu dès profonde heure
Epars mille haies halles le gueux n’a âge les poix sons I mages du saut vœux heure

Tué d’en le jar d’un dune aube berge ose an vire rond deux Peu rague
Tue te sang toute heure eux hune rosée sure la tas bleue
Hais-tu aube cerveau lit eux d’haie cris ire thon content peau rose
Lassé toi ne quid hors dent le queue heure deux l’arrose

Et poux venté tue te veau as des cinés d’en l’aise à gâte deux Seins Vite
Tué t’es trie ce te amour rire le joue roux tue TV
Tue hure sang bleu eau Las art à fol épars le joue heureux
Laits aigues y yeux deux l’or logent du quart y est jus if vont arrhes bourgs
Hais-tu heureux culot scie dent tas vie lente ment
An mont tantôt Haras de Chine aile soie rang né cou temps
Dent lait tas vernes champ t’est dé chants sons te chez queues

Te voix scia Mars c’est yeux eau mille lieu dé passes thé queues

Te voie scia Queue aube lance à l’haute elle du Geai an

Te vois scie aRrhe homme as six sous  un né feu lié du Jappe on

Te voix scia Âme se terre dame avec hune jeu nœud fil yeux queue tu troues vœux baie laid qui hait laid eux
Aile doigt ce mare y est avec hein nez tu dis en d’eux Laide
On nie loup dèche ambre en las teint Cubique cul à l’eau quand a

Je mens saoul viens gît hait pas c’est Troie jours haies haut temps à Goût d’A

Tués à Pas riche aile jus jeu d’un ce truc sillon
Commun crie mine elle long te mettant né tas d’art est-ce ta scions

Tuas fée d’eux doux lourd eux haies d’eux joie yeux voies y âges
A vent deux tas perd ce voir dûment songe haie deux la jeu
Tuas sous fer d’eux l’âme mourra vint haie à te rend temps
J’ai Eve écu qu’homme main fouet perd dus monts tant

Tune os eux plurent gars dé t’aime un haie atout mot ment jeu vous dresse sang lot est
Sur toit sur sel queue j’aie me sur tousse quitta époux vanté
Tu hure gardes laids I eux peu lin de l’arme ces peaux vœux heureux émis grands
Îles crocs a en dix yeux îles prix lait fa me halètent dés ans faons
Îles ans plissent d’eux l’heure eau d’heure le haut le de l’hagard Seins Las art
Îles on faux Adam leurrée toile qu’homme meule héros âme âge
Îles haies se perd gars nier d’eux l’arrhe gent dent l’are gentil nœud
Et heureux venir dans l’heure paix y a pré à voir fée fort tune
Eue nœud femme i yeux transe porte un aide d’heureux don roux jeu qu’homme vous transe portez veau autre queue heure.
Sept haies d’heureux dons haine or Eve son tôt si raie elle
Qu’ailes queues un deux ces émis grands raient se tisse y est seul au jeu
Rude haie Rose y est ou rude haies Et cous feux dent dé bouts jeu
Jeux lésés vus sous vent le sceau are îles pré nœud l’ère dent l’arrhe eu
Haie ce dé placera art ment qu’homme laies pieds ceux osés chèques
Île lia sur tout dé jus ifs l’heure fa me porte père rue queue
Ailes leurres est-ce tas six hais queues sang eau fondée bouts tiques

Tué deux bouts deux vents le cinq d’un bas heure queue rat pue le
Tu preux en un qu’a fait à dessous part mille est mal heure eux

Tué las nu y dents hein gueux rand reste au rang

Ses fa me nœuds son pâme mais chantent ailes on dé sous ci ceux pendant
Toux te m’aime la peu lue l’aide a fée sous frire sonna ment

Aile lait la fil yeux d’un cerf gens d’eux vil de J’ai herse sait

Sème un queue jeu navet pas vues sondent hures haies j’erre sait

Geai hune pie t’y est y ment ce poux relais cous t’eurent deux son vent heureux

J’hume y lie mains tenant à hune peau vœux heureux fil yeux or ire or riz bleu ma bouche

Tue esseules eux mat teint va vœux nie ire
Lait lait y est fonte un thé l’heure bide ont dents l’air eu

L’âne huis c’est l’oie ni un scie cul nœud bée elle mai t’y vœux
Sait Faire dîne l’a faux sous Laie Allah tante ivre

Hais tu boa sept à le col bru lent qu’homme tas vie
Tas vie queue tue boa qu’homme hune ode vies

Tue m’arche verre rÔt œil tue vœux allécher toit à pie haie
D’or mire part mythe et fête ich d’Os et âne y est de gui né
Îles sons des Cris ce te dune haute heureux faux orme haie d’hune haute heureux croie y anse
Ceux sons les Cris ce teint faits rieurs des aubes se curent est-ce paix rance

A d’yeux A d’yeux

Sole haie yeux cou coupe est

LOUISE CRISE

Toi le rimailleur
D’ici ou d’ailleurs
Rempailleur de rêves
Tous les jours en grève

Sans métro ni métrique
Artaud l’électrochic
Apollinaire blessé
Baudelaire opiacé

Distributeur de roses
Ou d’ecchymoses
Fais quelque chose
Louise crise !

Roi des enjôleurs
Aux airs accrocheurs
Pour un oui pour une nonne
Dragueur de smartphone

Sans unité ni batterie
Mallarmé de la vie
Léo de voie ferrée
Desnos écarquillé

Chanteur à l’eau de rose
En rime ou en prose
Fais quelque chose
Louise crise !

Toi l’embobineur
Prince des menteurs
Enchanteur merlan
Poète décadent

Sans mixage ni battage
Prévert des sans paroles
Verlaine l’ absinthéiste
Rimbaud le boiteux ivre

Amant pour qui je pose
Jusqu’à l’overdose
Fais quelque chose
Dis que l’amour existe
Louise crise !

LES DEUX SQUELETTES DE CHRISTOPHE COLOMB

Île d’Hispaniola, 12 janvier 2010

 

Une pièce d’un euro tomba du ciel et roula dans la poussière. Elle sembla hésiter un instant, en équilibre sur la tranche, comme l’œuf de Colomb, avant de s’immobiliser face contre terre entre deux pieds sales. Un groupe de touristes enfila le pas d’un guide arborant un grand parasol aux couleurs vives. Recroquevillé au pied d’une murette sous un sombrero de paille, le propriétaire des deux pieds sales n’esquissa pas le moindre mouvement au passage du groupe d’européens bariolés.

Une odeur de viande de cabri et de haricots bouillis s’éternisait sur le quartier Est de la ville de Saint-Domingue. C’était la fin de l’après-midi. L’ombre de l’énorme croix couchée dans le béton du Phare à Colomb s’allongerait bientôt sur l’indio comme un funèbre poncho. A quelques rues de-là, une Jaguar blanche aux vitres teintées fit le tour d’une place plantée d’orangers et de citronniers. La limousine passa devant la mitrailleuse lourde d’un poste de contrôle entouré d’enfants, avant d’emprunter une ruelle bordée de vieilles maisons de style colonial.

Invisible derrière les collines pelées qui serpentaient autour de la ville, bien au-delà de Haïti, de Cuba et du Golf du Mexique, un crotale glissait lentement au pied d’un figuier de barbarie. Il s’enfila entre les éboulis de roches surplombant les eaux grises et salées du lac de Texcoco. Haut dans le ciel outremer, une minuscule tâche noire tournoya comme une hallucination avant de disparaître au-dessus d’une forêt de cactus candélabres, parsemée de rares agaves.

Pour les visiteurs qui se succédaient sur le passage menant au Phare à Colomb, l’indio semblait appartenir seulement au passé des lieux. Comme une pierre du chemin n’attendant que le coup de pied rageur ou distrait de l’histoire en marche. Ce qu’ils ne pouvaient entrevoir sous le sombrero, c’était les yeux du vieux mexica qui roulaient sous leurs paupières. Il rêvait ou plutôt délirait en proie aux visions de la fièvre dans sa langue nahuatl …

… La chevelure rousse de Cortès flamboyait dans les yeux incrédules de Moctezuma. L’empereur Aztèque vacilla… Etait-ce le Dieu de l’étoile du matin Quetzalcoatl, de retour du royaume souterrain de Mictlan, qui lui apparaissait sur son radeau de serpents ? Les ossements des anciens n’avaient donc pas suffi pour reconstruire le Cinquième Monde. Les prêtres devaient encore offrir du sang à de nouvelles vies. Beaucoup de sang…”

La joue de l’indio s’agita sous l’effet d’un tic nerveux.

“… Le disque d’or du soleil pointait mille lances de feu sur l’armure du conquistador. Quel était donc ce Dieu sans plumage, juché sur un étrange hippocampe terrestre à quatre pattes ? Le cheval de Cortès lâcha alors un long jet d’urine, ponctué par un chapelet de crottin. Moctezuma se ressaisit. Il fit bruisser ses plumes sacrées et ordonna d’un cri à ses innombrables guerriers de fondre sur le petit groupe d’espagnols.”

Le corps du vieil indio fut agité par un bref soubresaut. Il pensa dans son rêve :

La fin des temps n’est pas pour demain. Pour la bonne raison que le temps n’a pas de fin.”

Au-delà de l’horizon incertain du Phare à Colomb, lové dans un pneu de camion abandonné au bord de la route, un jaguar scrutait l’entrée de la vallée menant à Mexico. Avec un peu d’imagination, on aurait pu deviner au loin la présence sourde de l’océan, la plage de Veracruz et des nuées de petits mexicas qui sautaient dans les rouleaux de l’Atlantique derrière de frêles caravelles de plastique.

Un chien s’approcha et renifla les pieds nus d’un air entendu. L’indio poursuivait son rêve, indifférent aux allées et venues des touristes…

“… D’un coup sec, le prêtre Aztèque trancha la tête de Cortès. Il l’exhiba à la foule, avant de la laisser retomber lourdement sur les marches du temple. Elle roula comme un vulgaire tacos enfariné de poussière au pied de la pyramide, en crachant ses dents unes à unes, au bout de longs filets de salive et de sang.”

Un quart de dollar vint rejoindre l’euro sur la terre battue, suivi d’une pièce de dix pesos mexicains. Un nouveau groupe de touristes emboîta pesamment le pas de son chef, tenant à bout de bras un parapluie aux couleurs du drapeau américain. Des mouches décrivaient de rapides écliptiques autour du sombrero du vieux mexica, tout à son rêve…

“… Les voiles en berne floquaient sur la mer d’huile. Affamés depuis des jours, les hommes de Moctezuma se partageaient les restes du dernier prisonnier espagnol sacrifié. Les cales étaient désormais vides de plaintes. Seuls, le grincement lancinant des bois et le plongeon des os de l’homme jetés par-dessus bord troublaient le silence. Soudain, une légère brise fit claquer un hauban.”

Au bout d’un pâté de maisons cossues à l’est de la ville, un portail de fer forgé orné d’arabesques s’ouvrit automatiquement devant la Jaguar blanche. Elle s’engouffra dans la cour en déclenchant le mouvement de deux caméras de surveillance. Le conducteur se gara près d’un énorme SUV Chevrolet noir. Il coupa le moteur, ajusta ses Ray-Ban et son Panama dans le rétroviseur, avant de se saisir d’une valise sur la banquette arrière. Il fit quelques pas et disparut dans les frondaisons d’ipomées qui masquaient l’entrée d’un patio.

Le vieux Mexica rêvait toujours…

“… Une alouette de mer se percha sur la pointe d’un mât. Le vent passa une main invisible dans les cheveux de jais des Aztèques. Tous les regards interrogèrent le ciel. Un rideau de nuages déchiré d’éclairs s’avançait menaçant, en direction des navires espagnols immobilisés dans le pot au noir. De grosses gouttes de pluie commencèrent enfin de tomber sur les visages brûlés emplis de crainte.”

Dans l’éternité suspendue au-dessus des eaux grises et salées du lac de Texcoco, devant une anfractuosité rocheuse empestant le guano, l’aiglon à peine débarrassé de sa coquille eut tout juste le temps de fixer le serpent à sonnettes de son œil grand ouvert.

“… La morsure fulgurante du crotale renversa le ciel du Cinquième Monde sur la prophétie du dieu Huitzilopochtli. Le sang rouge des figues du Nopal perça de mille venins la langue asséchée du prêtre mexica.”

Une ombre immense se déploya dans le ciel, mais le grand aigle arriva trop tard

… Le crotale avait gobé l’œuf de Colomb. La prophétie des Aztèques ne pourrait plus se réaliser. Personne ne verrait l’aigle avec le serpent entre les serres se poser sur le cactus. Adam et Eve ne mangeraient pas la pomme. Et la fondation de Mexico pouvait attendre le passage d’un autre cycle.”

A ce moment précis, de l’autre côté de l’Atlantique, un groupe de corbeaux décolla des flèches de l’immense cathédrale de Séville dans la nuit froide de janvier. Des pas furtifs résonnèrent dans l’entrée glaciale de l’édifice, entrecoupés de bruits secs et de murmures. Après plusieurs génuflexions rapides, trois bigotes voilées de dentelles noires se mirent à tournoyer avec des chiffons et des balais autour du tombeau de Christophe Colomb, juché sur les épaules de quatre statues de marbre pour ne pas toucher la terre d’Espagne.

Simultanément, à l’intérieur du Phare à Colomb sur l’île d’Hispaniola, une armada de touristes visitaient incrédules l’autre mausolée censé renfermer aussi la dépouille du découvreur de l’Amérique. Dehors, les militaires en passe-montagnes et gilets pare-balles observaient distraitement, derrière des sacs de sable, la bande d’enfants lancés à la poursuite d’un ballon de foot qui manqua de peu d’arracher le sombrero le l’indio.

En se baissant un peu pour voir sous la pyramide de paille, il n’aurait échappé à personne que le vieux mexica était ivre mort, en proie aux visions les plus étranges…

Les ruines de la cathédrale de Cadix fumaient. Sous la garde d’une armée de guerriers à moitié nus, une multitude d’esclaves espagnols hâlaient péniblement de lourdes pierres sur les marches vertigineuses d’une pyramide Aztèque. Le temple s’élevait en vision accélérée et des ruisseaux de sang s’écoulaient le long des parois.”

Tel l’aigle sacré, le vieux survolait Grenade, Séville, Cordoue, la Castille, l’Aragon…

… Les cathédrales de toute l’Espagne s’effondraient les unes après les autres sur son passage, laissant place à d’imposants temples Aztèques. Puis le vieil indio replia ses ailes sur sa longue queue de plumes et se posa devant Charles Quint encadré par quatre soleils noirs. Avec un air solennel qu’il ne se connaissait pas, il demanda à l’empereur du Saint-Empire romain germanique d’abjurer sa foi en un dieu crucifié pour adorer Huitzilopochtli. Il lui dit aussi qu’il n’avait rien à craindre parce que son rang le prédestinait à un destin unique. Son sang royal serait versé dans la coupe du soleil pour former la « quintessence » du cinquième monde. Grâce à son sacrifice, la roue du temps cyclique se remettrait en mouvement et du même coup, le futur serait effacé. Plus d’Apocalypse ni de fin du monde.”

Le temps tout entier sembla se contracter en une seconde. Le temps pour une fourmi rouge de rentrer et de sortir d’une narine du vieux qui fit une grimace.

Dans la piscine du patio, une femme nue derrière d’immenses lunettes Channel lézardait sur un serpent à plumes gonflable, un Ipod dans les oreilles. L’homme au Panama apparut entre les frondaisons d’ipomées. Il posa la valise, se jeta en arrière sur un transat et ouvrit la boîte en écailles de tortue caretta caretta qui trônait sur la table de mosaïque, ornée de motifs précolombiens. Il s’enfila une pincée de poudre blanche dans chaque narine. L’amertume de la cocaïne lui fit cligner les yeux. Il se pinça nerveusement le nez d’une main, tandis que de l’autre, il serrait la croix incrustée de diamants qui pendait sur sa poitrine épilée. Sa Rolex en or marqua 16h53.

C’est alors qu’une énorme explosion souffla le toit de l’hacienda et fit voler le sombrero, semant la panique parmi les touristes et les habitants du quartier colonial. Des sirènes se mirent à hurler dans tous les coins de la ville. Les deux squelettes de Colomb – le découvreur du nouveau monde et le fossoyeur de l’ancien – se retournèrent dans leurs tombes respectives. L’un dans son phare de béton armé, l’autre dans sa cathédrale de pierre et d’or, de l’autre côté de l’océan.

Le vieux mexica se releva en titubant dans la poussière et les éboulis, au milieu des gens hébétés. En archéologue shaman d’un monde de narcotrafiquants, il fouilla jusqu’à la nuit les gravats à la recherche des pièces de monnaies et trouva la Rolex. Sous sa tignasse noire poudrée de plâtre, son visage semblait figurer une étrange mascarade divine. Ses yeux rouges embrumés pétillaient sous la lune. De son pantalon, il extirpa une bouteille de mezcal dans laquelle dansait une chenille boursouflée par l’alcool. Il la porta à ses lèvres qui gigotaient comme deux vers de terre et puisa un long regard en arrière vers les étoiles.

Bientôt, il n’y aurait plus que les yeux aveugles des calamars géants, pensa-t-il, pour patrouiller l’océan sans mémoire qui s’étendrait à perte de vue sur la cité de Tenochtitlàn. Engloutie avant même d’être fondée. Oubliée avant même de devenir Mexico. Et sur l’Amérique déjà perdue avant d’être découverte. Et sur le nouveau monde qui n’avait de nouveau que les yeux avides de Cortès et de toute sa clique. Tout cela serait bientôt effacé. Enfoui sous les couvertures sales jetées par les Espagnols aux Indios pour les faire crever plus vite de rougeole, de grippe, de tuberculose et de syphilis. Enterré à tout jamais sous les os de Christophe Colomb, le seul homme qui pouvait se payer le luxe d’avoir deux squelettes, sans que personne ne trouve cela bizarre.

Il renversa encore plusieurs fois la tête vers de mystérieuses constellations connues de lui seul, avant de briser la bouteille vide. Dans le trou noir de sa bouche édentée, il fit rouler sa langue pour caler sa chique de feuilles de coca contre ses gencives roses de bébé. Satisfait, il sourit nerveusement et murmura d’une voix spectrale en nahuatl :

Cuitlapalli in àtlapalli…

« La queue et les ailes », c’est ainsi qu’on appelait les gens de son peuple autrefois. Quand ils étaient encore des Hommes-Oiseaux. Quand ils pouvaient voler librement jusqu’en Europe et même en Inde. Bien avant de se faire plumer et traiter d’indios !

Des ombres incertaines de plus en plus nombreuses s’affairaient dans les ruines autour du vieux, comme une armée de zombies. Les Aztèques avaient échoué. Les Dieux Mayas eux promettaient un solstice final de toute beauté, pensa-t-il. On verrait bien. Tôt ou tard, le monde se réveillerait de ce long cauchemar.

Comme une réplique divine à ses pensées, un grondement lointain et interminable se rapprocha en provenance de l’ouest de l’île et la terre commença à trembler fortement sous ses pieds.

Là-bas, sous les décombres fumant d’Haïti, 220 000 squelettes venaient de rejoindre la fosse commune du nouveau monde, tous frappés de la même sentence. L’Oubli.

ALLER SIMPLE

Toujours le même port de départ

Jamais le même port d’arrivée

L’homme qui prend la mer

Ne pense jamais au pire

Parce qu’il n’y a rien de pire que la mer

Pas le même sort au départ

Mais  tous le même sort à l’arrivée

Comme c’est dur de partir

Quand on a personne à laisser